Marie Morille : la nanoformulation mégastratégique

Chercheuse à l’Institut Charles Gerhardt (ICGM) et maitre de conférence dans le département pharmacie galénique et biomatériaux de l’Université de Montpellier, Marie Morille conduit plusieurs recherches stratégiques sur la formulation de biothérapies. Ce qui lui a valu d’être lauréate IUF en 2022, après avoir décroché une ANR junior en 2020.

Quand Marie Morille parle de sa recherche sur les nanovecteurs et les biothérapies, on croirait entendre un récit de science-fiction. Injection de microparticules qui baladent dans l’organisme des nanoparticules contenant elles-mêmes des ARN messagers… Cette recherche fondamentale au sein de l’Institut Charles Gerhardt (ICGM) raconte la médecine du futur et la formulation des biomédicaments de demain. Un de ses champs de recherche porte notamment sur le traitement de l’arthrose par thérapie cellulaire. Injectée au niveau de l’articulation, des cellules souches peuvent se différencier en cellules cartilagineuses pour réparer le cartilage. L’enjeu est donc de réussir à contrôler cette différenciation.

Comment ? Grâce à un système complexe basé sur des microsphères de collagènes, qui servent à la fois de support aux cellules souches mais aussi de réservoir de nanoparticules contenant des acides nucléiques qui contrôlent justement la différenciation. Son travail dans cette mécanique nanométrique est tout d’abord de développer des nanovecteurs efficaces pour entrer dans les cellules, ensuite de modifier les surfaces des particules pour contrôler leur fixation et la chronologie du largage de ces nanosystèmes. Et si la preuve de concept est en ligne de mire, « cette recherche est encore très fondamentale », reconnaît l’experte en nanoformulations.

La nouvelle mascotte de la biomédecine

Ces travaux sont la suite logique de son post-doc à l’Institut de médecine régénérative et biotherapies (IRMB), qui a précédé son recrutement comme maitre de conférence à l’Université de Montpellier en 2012.  L’occasion de premiers résultats sur la réparation du cartilage, dans la cadre d’un projet Inserm transfert. La chercheuse optimise la formulation d’une protéine utilisée pour favoriser la différenciation cellulaire en cartilage, un résultat breveté en 2012. Les résultats probants testés chez la souris aboutissent à une application quelques années plus tard par la société Normandie Biotech. « Le traitement a été utilisé en médecine vétérinaire chez les chevaux de course. C’était une bonne surprise de voir une application aussi rapide », raconte Marie Morille.

Ses premières recherches sur les nanoparticules remontent à son doctorat. Son objectif était alors de favoriser l’accumulation de ces vecteurs, utilisés pour le transport d’acides nucléiques (ADN), dans les cellules cancéreuses, cibles du traitement. « On décore la surface de ces nanoparticules avec des polymères pour assurer leur stabilité après injection intraveineuse. Le système a alors plus de chance de s’accumuler dans les tumeurs par un effet nommé EPR (enhanced permeability and retention effect) reposant, entre autre, sur le caractère imparfait des vaisseaux sanguins irrigant les tumeurs », précise la chercheuse.

L’intérêt pour ce mécanisme, phare à l’époque de sa thèse entre 2006-2009, est retombé depuis. « Si les effets étaient bien démontrés chez la souris, ils n’ont pas été concluants chez l’homme », constate celle qui aujourd’hui, travaille sur la nouvelle mascotte de la biomédecine, les vésicules extracellulaires (Ve). Sécrétées par les cellules, ces vésicules sont des nanovecteurs rêvés pour acheminer des médicaments car elles sont naturellement équipées pour entrer dans les cellules. Elles sont aussi prometteuses pour des applications en médecine régénérative pour leurs propriétés intrinsèques notamment anti-inflammatoire. « Il faut juste réussir à les dompter », précise Marie Morille.

Secteur très compétitif

Son nouveau chantier de recherche consiste ainsi à trouver un moyen de les stabiliser pour pouvoir les utiliser pour des traitements. « Par exemple en modifiant la surface de ces vésicules avec des molécules polymères, on cherche à conserver leur intégrité physique et leur activité biologique. Nous avons même développé des méthodes de congélation et de lyophilisation pour faciliter leur utilisation, et nous testons actuellement, en collaboration avec l’Institut de recherche en cancérologie de Montpellier (IRCM), leur radiomarquage pour les suivre dans l’organisme.  Nous nous intéressons également à leur intérêt dans la vectorisation d’un autre type de biothérapie : des anticorps à visée intracellulaire, également en collaboration avec l’IRCM » explique la chercheuse.

Initiée en 2016, ces recherches lui ont permis d’obtenir un financement ANR junior en 2020 et de devenir lauréate IUF (Institut Universitaire de France) en 2022. Cette fois, avec un projet sur les traitements pulmonaires. Les Ve ont l’avantage de ne pas rester collées dans le mucus, à la différence des nanovecteurs de synthèse. Une propriété qui améliore l’efficacité du traitement. « Grâce à une décharge important de mes cours, cette IUF me donne le temps de travailler, une disponibilité indispensable car la recherche va vite dans ce secteur très compétitif », reconnait la maîtresse de conférence, qui n’en oublie pas pour autant la composante enseignement de son travail.

California’dreamin

Avec deux importants projets pédagogiques : la création d’une plateforme d’équipements dédiée aux nanoparticules dans le cadre du programme BioOc un projet lauréat en 2022 de l’appel à manifestation d’intérêt « compétences et métiers d’avenir » France 2030 ; et sa participation, en tant que co-responsable pédagogique du projet d’Institut Hospitalo-Universitaire Immune4Cure porté par C. Jorgensen. Et comme si tout ça ne suffisait pas, Marie Morille prépare une année de mobilité en septembre à l’université de California Davis à Sacramento.  « C’est une période charnière de ma carrière, très chargée mais très excitante aussi », conclut l’infatigable.