Olivier Torrès : Du PMU au PMiste
Avec l’observatoire Amarok, le professeur Olivier Torrès a mis sa recherche au service de la santé des chefs des petites et moyennes entreprises (PME). Une carrière doublement récompensée par le prix Julien Marchesnay en 2024 et par la nomination au grade de chevalier de l’ordre national du mérite en 2025.

Olivier Torrès a le sens de la formule. Ce professeur en management de l’Université de Montpellier se qualifie souvent de « bistrotier normalien », entendez par là que celui qui a grandi dans le Tabary’s bar-tabac-PMU familial à Sète a intégré l’École normale supérieure (ENS) de Cachan. Ces deux ancrages balisent encore aujourd’hui sa carrière, puisque du premier il a retenu un attachement profond pour les artisans, commerçants, agriculteurs et autres petits entrepreneurs ; de l’autre, les premiers pas dans une recherche académique qui l’anime toujours.
« A l’ENS, les PME n’existaient pour ainsi dire pas. On ne parlait que des grandes entreprises. Un angle mort qui caractérise hélas toutes les grandes théories économiques, souligne le professeur qui rappelle que près de 99,9% des entreprises en France sont des PME. Elles sont partout sauf dans les livres ! ». Celui qui se définit comme un PMiste trouve son école à Montpellier, auprès de l’économiste Michel Marchesnay avec qui il fait sa thèse sur les stratégies de mondialisation des PME.
“L’inaudible et inavouable souffrance patronale”
De ce travail, il tire la conviction que ce qui définit les PME c’est la proximité, à l’inverse de la gestion à distance dans les grands groupes. Son attachement pour les petits patrons grandit à mesure qu’il prend conscience de leur souffrance au travail. « J’ai été interloqué par une série de suicide de dirigeants de PME », dit-il en sortant une relique de son portefeuille, un petit bout de journal d’une rubrique « Faits divers » titrant « Acculé, un entrepreneur met fin à ses jours ». Le même jour, Midi libre consacrait une page entière en rubrique « Société » au suicide d’un salarié dans une grande entreprise. « Cette différence de traitement m’a poussé à écrire en 2009 une tribune dans Le Monde sur « l’inaudible et inavouable souffrance patronale » », raconte Olivier Torres. Sa tribune fait mouche dans les médias et ouvre le débat sur le sujet.
Un dispositif d’alerte
« Pour combler un gap », le chercheur crée en 2008 l’observatoire Amarok afin de suivre la santé des petits entrepreneurs : « Une de mes grandes découvertes à travers les nombreuses études conduites depuis près de 20 ans a été de montrer que l’entrepreneuriat, malgré les difficultés, était aussi bon pour la santé ! ». Les facteurs pathogènes (stress, charge de travail, solitude, incertitude…) sont largement compensés par des facteurs salutogènes – bons pour la santé – (résilience, maitrise de son destin, adaptabilité…).
« Créer une entreprise confère toujours un complément d’âme au créateur ; un métier d’engagement comme tous les métiers de signatures : artistes, auteurs, chercheurs… D’ailleurs firme veut bien dire signature ». Citant Jean-Paul Sartre, il se déclare existentialiste : chacun est maitre de son destin et l’entrepreneur en premier lieu. En allemand, le créateur d’entreprise est un existenzgründer – ce qui littéralement signifie un fondateur d’existence – déclare celui qui prépare un livre sur le sujet.
L’empathie avec les patrons de PME le pousse aussi à agir pour les intéressés. Ses travaux ont montré que 6,5% d’entre eux présentent des risques d’épuisement sévère (Dépistage de l’épuisement et prévention des burn out des dirigeants de PME, 2019). Avec Amarok, il met en place un dispositif d’alerte de mal-être au travail. L’association, qui tourne avec des fonds propres, travaille ainsi en partenariat avec une centaine de services de santé au travail, des fédérations professionnelles comme la Fédération française du bâtiment (FFB), ou la Fédération nationale des transporteurs routiers (FNTR).
864e conférence
Via ces structures, les entrepreneurs sont invités à se positionner sur des échelles de niveaux de stress et de satisfaction, « les stressomètre et satisfactomètre de l’entrepreneur ». Si le mal-être dépasse un certain seuil, « une psychologue reçoit l’alerte et peut échanger avec l’intéressé pour l’orienter vers des services d’accompagnement proposés par des associations partenaires d’Amarok », explique Olivier Torrès. Ces associations (60 000 Rebonds, Second Souffle et Re-Créer) sont réunies au sein du portail du Rebond, qui a été lauréat du grand prix européen de la promotion d’entreprise en 2020-2021.
Plus récemment, Olivier Torrès a aussi ouvert ses travaux aux agriculteurs et aux élus locaux (A l’UM la science, La santé des maires de France, 10/10/2024). Véritable héraut de la cause des travailleurs indépendants, il vient de donner sa 864e conférence sur le sujet. S’il a reçu plusieurs prix, le prix Julien Marchesnay reçu en 2024 le touche particulièrement : « un prix de carrière qui marque ma place dans l’école montpelliéraine de la PME ». Cette année, il recevra également l’insigne de chevalier de l’Ordre national du Mérite. Un titre qui sied à celui qui ne cesse de cavaler par monts et par vaux pour promouvoir sa cause.