Oussama Khatib : plongée dans la robotique
Avec son robot plongeur-archéologue Ocean One, le directeur du Robotics lab de Stanford et chercheur à la renommée mondiale Oussama Khatib, braque les projecteurs sur les mystères des abysses et de la robotique. Le 20 février dernier, c’est sur les recommandations de ses pairs français Philippe Poignet, Vincent Creuze et Philippe Fraisse, tous trois chercheurs en robotique au Lirmm, que le franco-américain a reçu le titre de docteur honoris causa de l’Université de Montpellier.
Ils sont plus de 120 en ce lundi après-midi à accéder sur invitation à l’amphithéâtre du village des sciences pour assister à un petit événement dans le monde de la robotique. Dans quelques minutes, Oussama Khatib, directeur du laboratoire de robotique de Stanford donnera une conférence intitulée The age of human-robot collaboration. Une leçon inaugurale dans la plus pure tradition du temps fort de cette journée : la cérémonie de remise du titre de docteur honoris causa de l’Université de Montpellier à ce chercheur internationalement reconnu.
Premiers pas en France
« Un des pères de la robotique moderne, précurseur et visionnaire ». C’est par ces mots que Philippe Poignet, directeur du laboratoire d’informatique, de robotique et de microélectronique de Montpellier (Lirmm) débute l’éloge de son confrère américain. Un discours rédigé à trois mains avec ses deux collègues Vincent Creuze et Philippe Fraisse qui souligne combien ce doctorat honoris causa célèbre la collaboration entre deux équipes pour ne pas dire entre deux pays. Car Oussama Khatib connaît non seulement bien la France mais aussi Montpellier où il débarque pour la première fois en 1969 après une jeunesse passée en Syrie.
Il y reste le temps d’une maîtrise en électronique et automatisme avant de rejoindre la ville rose où il effectue sa thèse. Il développe à l’époque une nouvelle méthode mathématique dite « par champ de potentiel » qui révolutionne le mode de déplacement des robots. Des travaux particulièrement remarqués qui lui valent un billet d’entrée pour un post-doc dans la prestigieuse Université Stanford, en Californie, qu’il ne quittera plus. S’ensuivront cinquante années de recherche et d’innovation faisant aujourd’hui d’Oussama Khatib un des chercheurs en robotique les plus visionnaires de sa génération comme en témoigne Philippe Fraisse qui a collaboré avec lui pendant de nombreuses années : « Il a été le premier à comprendre l’importance de l’interaction humain-robot et des défis scientifiques à relever afin que la robotique apporte sa contribution au progrès technique et social dans nos sociétés modernes. »
Viser la Lune avec Ocean One
Mais c’est sans aucun doute sa dernière création pour ne pas dire créature qui a le plus défrayé la chronique : le robot-plongeur Ocean One. Remontons le temps et arrêtons-nous sur l’année 2016. Nous sommes au large de Toulon à bord de l’André Malraux, le navire du département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines français, le Drassm. Sur le pont l’agitation gagne les archéologues curieux de voir en action l’acteur principal de cette mission. Un corps orange de deux mètres de long pour un poids de deux cents kilos, des yeux équipés de caméras, deux bras à sept articulations prolongés de mains interchangeables et manipulés grâce à des interfaces haptiques capables de restituer à celui qui les pilote des sensations tactiles. Ocean One surprend autant par sa silhouette humanoïde que par la sophistication de ses équipements.
Au milieu des archéologues, Oussama Khatib échange avec Vincent Creuze chercheur en robotique sous-marine. Ensemble ils peaufinent les derniers détails de cette plongée qui fera date. Dans quelques instants Ocean One et Speedy, le robot du Lirmm, partiront explorer l’épave de la Lune, un navire de Louis XIV ayant sombré en 1664 et gisant à 91 mètres de fond. « C’était une profondeur relativement faible précise le montpelliérain, l’objectif de ces premiers essais était de démontrer qu’Ocean One était en mesure de récupérer et de manipuler des objets sous l’eau avec la même délicatesse qu’un archéologue ».
Ce premier succès ouvre la porte à plusieurs années de collaboration entre les deux chercheurs et leurs laboratoires de recherche respectifs, avec en ligne de mire un seul et unique but pour le chercheur de Stanford : amener Ocean One a 1000 mètres de profondeur, là où les plongeurs humains ne peuvent pas aller. Un objectif quasiment atteint en février 2022 dans un canyon sous-marin au large de Cannes. Là, grâce à la collaboration du Drassm et d’Arthur le dernier prototype de Vincent Creuze, le robot humanoïde américain plonge à 852 mètres. « A bord de l’Alfred Merlin, le nouveau bateau du Drassm, Ocean One est vraiment dans des chaussons. Tout l’environnement y a été conçu pour lui et pour qu’il puisse, avec Arthur, travailler de façon optimale et atteindre les objectifs qu’Oussama s’est fixé » explique Vincent Creuze.
Promotion de la robotique
Très vite la nouvelle se répand comme une traînée de poudre dans le petit monde de la robotique et bien au-delà « Oussama Khatib est un chercheur extrêmement généreux qui a beaucoup fait et continue de faire beaucoup pour la promotion de la robotique dans le monde, raconte Vincent Creuze. Tout ce qu’il produit est tout de suite mis à la disposition de la communauté scientifique. » Et de fait lorsque le chercheur de Stanford n’est pas en mer, c’est dans les airs qu’il parcourt la planète, toujours entre deux conférences, pour dispenser conseils et séminaires aux nombreuses universités, fondations et entreprises qui se l’arrachent. Il siège notamment en France depuis 2014 au conseil stratégique de la recherche, chargé d’éclairer les décisions du gouvernement français en matière de stratégie nationale de recherche.
Un emploi du temps de ministre qui ne l’empêche pas de consacrer un maximum de temps à ses étudiants « envers lesquels il est extrêmement attentif » souligne Vincent Creuze mais aussi et surtout à son rôle de président de la prestigieuse Fondation internationale de recherche en robotique (IFRR). Une fondation sur laquelle il s’est appuyé pour développer l’Iser, un symposium international de robotique expérimentale organisé tous les deux ans depuis 1989 et qui s’est installé sur tous les continents : Maltes, Buenos Aires, Tokyo, Delhi, Sydney, Honolulu, le Maroc et même Toulouse en 1991.
« Ce symposium c’est vraiment son bébé. C’est un évènement à la fois très sélectif, avec moins d’une soixantaine de communications proposées, mais qui permet aussi aux jeunes chercheurs de rencontrer les meilleurs spécialistes de robotique au niveau mondial. » De quoi goûter un peu plus encore la chance de compter parmi les docteurs honoris causa de l’Université de Montpellier un scientifique tel qu’Oussama Khatib qui déclarait en mars 2022 dans les colonnes du journal Le Monde : « Ce que j’imagine ? Ce sont des flottes de robots humanoïdes travaillant de concert sous la supervision d’un ou de plusieurs opérateurs, afin de réaliser des tâches risquées pour les humains. Telle est la voie. Tel sera l’avenir ».