Paul-Émile Paradan : la persévérance d’un chercheur d’or
Chercheur en mathématiques à l’Institut montpelliérain Alexander Grothendieck de l’Université de Montpellier, Paul-Émile Paradan a reçu le prix « Alexandre-Joannidès » décerné par l’Académie des sciences. Il récompense des années de recherche solitaire à l’interface de la théorie de l’indice d’Atiyah-Singer, de la théorie des représentations et de la géométrie symplectique.
La rencontre avec un mathématicien est toujours précédée d’une certaine appréhension. Comment aborder des sujets aussi complexes qu’abstraits, expliqués dans un langage mathématique inaccessible ? Mais Paul-Émile Paradan semble disposé à ne pas en imposer. Le professeur de mathématiques à l’Université de Montpellier commence par expliquer que les maths étaient au lycée, pour lui, plus un choix de paresseux que de surdoué : « Quand j’étais jeune, j’étais plus intéressé par le sport que par les matières scolaires. Seules les mathématiques m’attiraient, car une fois qu’on les a comprises, il n’y a plus rien à apprendre, il suffit de jouer ».
En terminale, il découvre dans une brochure de l’Onisep que mathématicien est un vrai métier. Si son professeur de mathématiques de l’époque lui déconseille d’envisager cette voie, il aujourd’hui couronné pour sa carrière par le prix « Alexandre-Joannidès » décerné par l’Académie des sciences en octobre 2024. Mais le chercheur de l’Institut montpelliérain Alexander Grothendieck ne s’attarde pas sur les honneurs. Et la présentation de son travail intitulé – « des travaux à l’interface de la théorie de l’indice d’Atiyah-Singer, de la théorie des représentations et de la géométrie symplectique » -, reste insaisissable. Même l’académicien Etienne Ghys chargé de remettre la médaille sous la coupole de l’Institut de France a éludé le sujet, brossant à grands traits « une géométrie qui permet de mieux comprendre la mécanique » et plaisantant « je vous expliquerai tout cela au cocktail ».
Creuser son filon
Le récit de sa carrière permet néanmoins de comprendre le fonctionnement des sciences mathématiques : une communauté scientifique travaillant autour des idées novatrices de ses plus éminents représentants. Par exemple, Alexandre Grothendieck, qui a donné son nom au laboratoire de Montpellier, a été un leader international en géométrie algébrique dans les années 1960, et a reçu la médaille Fields en 1966. Il a laissé un héritage colossal qui a inspiré des générations de mathématiciens. Un autre exemple remarquable est le cas d’Edward Witten, physicien et mathématicien, lauréat de la médaille Fields en 1990, qui a eu un impact profond sur les mathématiques contemporaines en appliquant ses connaissances en physique.
Au cours de sa thèse, Paul-Émile Paradan s’est attaqué à une formule de localisation non-abélienne conjecturée par Edward Witten en 1992. Il a consacré sa thèse et son post-doctorat, entre 1993 et 1998, pour expliciter cette formule de localisation. « Ça a été ma chance, car mes résultats ne sont pas passés inaperçus dans la communauté mathématique. D’autant plus que certains pensaient que la formule était infaisable », remarque l’intéressé. « Les mathématiciens doivent être très persévérants, un peu comme des chercheurs d’or. Vous trouvez un filon – une question intéressante dont la solution semble réalisable – et vous creusez pendant des années ». Dans les années 1990, l’idée de Witten a été utilisée pour répondre à une conjecture émise par G. Guillemin et S. Steinberg en 1982, intitulée « la quantification commute avec la réduction » et notée [Q,R]=0.
Solitude du chercheur
Même si la preuve complète de cette conjecture est obtenue par E. Meinrenken en 1998, Paul-Émile Paradan réoriente ses recherches vers la quantification géométrique et réfléchit à une preuve de [Q,R]=0 dans un cadre plus général (Witten non abelian localization for equivariant K-theory, and the $[Q,R]=0$ theorem, 2019, American mathematical, society). Le but était de mettre au point une quantification géométrique formelle et de l’appliquer à la théorie des représentations des groupes de Lie et à la méthode des orbites de Kirillov (Horn problem for quasi-hermitians Lie groups, 2022, Cambridge Univesity Press)). « Il m’a fallu une quinzaine d’années pour arriver à bout de ce projet. Un moment, j’ai pensé que je n’y arriverais pas, mais j’ai persévéré car ça aurait été encore plus compliqué de tourner la page. » Ces dernières années, Paul-Emile Paradan s’est intéressé aux problèmes de convexité associés aux projections d’orbites adjointes.
Les mathématiques permettent de faire de la recherche sans contingence, mais la vie d’un enseignant-chercheur n’est pas sans contraintes. L’activité de recherche doit être conjuguée avec de nombreuses responsabilités administratives et académiques dans lesquelles Paul-Emile Paradan a pris sa part rompant ainsi avec la solitude du chercheur. Car Paul-Émile Paradan fait en effet partie de ces mathématiciens qui cherchent surtout seuls. « Pendant longtemps, j’ai été le seul à travailler sur les outils mathématiques que je développais ». Pas tout à fait seul pourtant, car ce serait oublier sa directrice de thèse, la mathématicienne Michèle Vergne, qui l’a lancé sur la formule de localisation de E. Witten. A 80 ans, il a toujours son oreille. « Aujourd’hui encore, quand j’ai une idée, je me tourne vers elle, elle a toujours un commentaire très perspicace à faire », raconte le chercheur, qui ferait presque oublier qu’il a déjà une carrière bien remplie derrière lui.